JLAR 2005
La température en anesthésie. Que faire chez l’enfant ?
Dr Serge Dalmas,
Clinique
d’Anesthésie
Hôpital Jeanne de Flandre
CHRU de Lille
L’enfant est d’autant plus susceptible de modifier sa
température centrale que sa surface corporelle est proportionnellement plus
élevée par rapport à celle de l’adulte. En effet les particularités
morphologiques jouent un grand rôle dans la sensibilité à l’hypothermie (1) et
au réchauffement (2).
I . Physiologie de la thermorégulation chez les nourrissons
et les enfants
La température ambiante de neutralité thermique est de 28°C
chez l’adulte et de 32°C chez le nouveau-né ; la température critique
(température ambiante au-dessous de laquelle l’individu ne parvient plus à
maintenir sa température centrale) est de 1°C chez l’adulte, mais de 23°C chez
le nouveau-né. Un nouveau-né placé nu dans une pièce chauffée à 23°C se trouve
donc dans la même situation qu’un adulte à qui l’on demanderait de sa
déshabiller dans une chambre froide à 1°C. Les nouveau-nés, nourrissons et les
jeunes enfants sont plus sensibles à l’hypothermie car les mécanismes de
protection ou de production de chaleur sont moins performants. Ils ont un
rapport surface cutanée sur volume plus élevé et une conductance cutanée
thermique plus élevée (la peau est fine) entraînant une perte plus importante
de chaleur. La zone de neutralité thermique, pour laquelle l’activité
métabolique est la plus faible est étroite chez les nourrissons ; en
dehors de cette zone le maintien d’une température centrale normale est associé
à une augmentation de la consommation d’oxygène et une acidose métabolique.
Chez l’enfant à terme la consommation d’oxygène n’est pas corrélée à la
température centrale mais au gradient entre température cutanée et température
extérieure. Enfin pendant l’anesthésie une vasoconstriction cutanée peut permettre
de limiter la chute de la température centrale.
Le processus de thermorégulation comprend trois
étapes : les afférences thermo-sensorielles, la régulation centrale et la réponse
efférente.
1. Les afférences thermiques sensitives
La sensibilité au froid serait transmise préférentiellement
par les fibres A-Delta et la sensibilité au chaud par les fibres C. La plupart
des informations thermiques sont ensuite transmises aux centres par le faisceau
spino-thalamique situé au niveau de la corne antérieure de la moelle.
2. La régulation centrale
Au niveau de l’hypothalamus les informations en provenance
de la peau, du névraxe et des tissus profonds sont comparées avec les seuils
thermiques inférieur et supérieur et initient une réponse lorsque ces seuils
sont dépassés.
L’intervalle de température ne déclenchant pas de réponse
effectrice est étroit à l’état éveillé (0,2 °C) mais s’élargit notablement
pendant l’anesthésie (environ 3,5°C).
Les mécanismes permettant à l’organisme de fixer un niveau
de référence absolu de température ne sont pas connus. Ce niveau dépend de divers
facteurs (rythme circadien, exercice, prise alimentaire, facteurs hormonaux, l’adaptation
au froid ou à la chaleur, les agents anesthésiques). La régulation centrale est
parfaitement fonctionnelle chez l’enfant. Les réponses sont déclenchées par les
afférences en provenance de l’ensemble des tissus (température moyenne de
l’organisme) et ne dépendent pas que du niveau de la température centrale. La
température cutanée est à l’origine des réponses comportementales.
3. Les réponses efférentes
L’homéostasie thermique est maintenue lorsque la température
dépasse les valeurs inférieure et supérieure grâce à des réponses
actives : augmentation de la production de chaleur avec ou sans frisson,
baisse de la dissipation de chaleur par vasoconstriction active ou application
d’une couverture, augmentation de la perte de chaleur par vasodilatation,
sudation, déshabillage.
3.1. La
vasoconstriction cutanée est une réponse constante et précoce face à une hypothermie ;
elle résulte d’un relarguage local de noradrénaline qui survient pour des températures
inférieures à 35°C. L’augmentation de noradrénaline circulante peut entraîner
une vasoconstriction pulmonaire avec un risque de retour en circulation fœtale
chez le nouveau-né.
3.2. La
production de chaleur résulte d’une augmentation du métabolisme par plusieurs
mécanismes : augmentation de l’activité musculaire volontaire, involontaire
(frisson) et la thermogénèse sans frisson.
3.2.1. Le
frisson, retrouvé chez l’enfant de plus de six ans, peut multiplier la production
de chaleur par quatre de manière transitoire et par deux de manière soutenue.
Il est aboli pendant l’anesthésie, et peut se manifester au réveil.
3.2.2. La
thermogénèse sans frisson est le mécanisme le plus important chez le
nouveau-né, alors que le frisson prédomine chez l’enfant et l’adulte. Comparé à
l’adulte, le nourrisson compense moins facilement une hypothermie en raison de
l’absence de frissons et d’une réaction vasoconstrictrice moins intense. La
perte de chaleur facilitée par les caractéristiques anatomiques, les capacités
diminuées à produire de la chaleur et la réponse diminuée à l’hypothermie les
rendent particulièrement vulnérables. La thermogénèse sans frisson est une
augmentation de la production de chaleur par augmentation du métabolisme sans
augmentation de l’activité musculaire. Elle résulte principalement d’une oxydation
de la graisse brune mais peut aussi survenir dans le muscle, le foie, le
cerveau et la graisse blanche. La graisse brune constitue 2 à 6% du poids du
nourrisson et se trouve principalement entre les omoplates, autour des
vaisseaux du cou, au niveau du creux axillaire, dans le médiastin et au niveau
des reins et des surrénales. C’est un tissu abondamment vascularisé et innervé
par des terminaisons sympathiques, constitué de cellules multinuclées contenant
de nombreuses mitochondries. Le froid entraîne à son niveau une libération
locale de noradrénaline puis une augmentation du métabolisme. Outre un probable
rôle du tissu adipeux brun dans le contrôle de la température corporelle et la
combustion des graisses, la thermogenèse du tissu adipeux brun pourrait induire
la satiété au niveau cérébral, la fin des prises de repas chez le bébé, et
contrôler le rythme des repas. La diminution de la température centrale pourrait
induire la demande de nourriture et la prise d’aliment. La prise d’aliments
activerait le tissu adipeux brun qui produit de la chaleur. L’augmentation de la
température centrale déclencherait la fin de la tétée. Les corticoïdes et la
thyroxine sont aussi impliqués dans l’augmentation du métabolisme. Cette
réaction peut être inhibée par un blocage sympathique ou par les agents
halogénés.
II. Hypothermie per-opératoire : modifications
physiologiques
L’anesthésie générale diminue le niveau de température en
deçà duquel l’organisme met en jeu les mécanismes de compensation de
l’hypothermie. Une hypothermie légère de 1 à 3°C en dessous de la normale est donc
fréquente et résulte de plusieurs phénomènes : une réduction de l’activité
métabolique (environ 15%), une augmentation de l’exposition à l’environnement,
une inhibition des mécanismes de régulation, et une redistribution de la
chaleur au sein de l’organisme. L’hypothermie évolue ainsi typiquement en trois
phases : une redistribution interne de la chaleur, une perte vers
l’environnement et une phase d’équilibre (3).
III. Effets des agents anesthésiques
Les agents anesthésiques inhibent les mécanismes de
régulation de la température de 2,5°C environ pour l’hypothermie et de 1,3°C
environ pour l’hyperthermie. Dans ces limites le patient devient poïkilotherme,
la température de l’organisme variant passivement en fonction de la production
de chaleur et de l’environnement. La vasoconstriction et la thermogénèse sans
frisson sont les seuls mécanismes permettant de limiter la baisse de la
température centrale. Pour l’isoflurane chaque pourcentage inhalé peut
entraîner une réduction de température de 3°C, chez l’enfant comme chez l’adulte.
L’inhibition de la vasoconstriction est indépendante du poids et de l’âge chez
l’enfant mais est plus marquée que chez l’adulte si la concentration d’agent
halogéné est corrigée en fonction de l’âge. Les mécanismes centraux de la thermorégulation
ne sont pas affectés par l’anesthésie loco-régionale, mais l’inhibition
régionale de la vasoconstriction peut favoriser une hypothermie, en fonction de
la taille du territoire concerné.
Dans certaines conditions il pourra survenir à l’inverse une
hyperthermie peropératoire : pendant l’anesthésie, le seuil de réponse à
l’hyperthermie est déplacé vers la droite. Les mécanismes régulateurs mis en
jeu par l’hypothalamus sont déclenchés au-delà d’une augmentation de 0.3°C à
l’état éveillé, alors que sous anesthésie ils le sont au-delà de 1 à 1,4°C. Les
réponses physiologiques efférentes sont la vasodilatation active et la sudation.
La sudation est la mécanisme le plus efficace, pouvant multiplier par cinq les
pertes de chaleur. Le nouveau-né va suer si la température de son environnement
dépasse 35°C et la température rectale 37°C. Le prématuré a une fonction de sudation
immature. Chez l’enfant de moins de 15 kg, ce mécanisme est moins efficace que
chez l’enfant plus grand et l’adulte, et d’autant plus si de l’atropine a été
administrée, alors que la vasodilatation est intacte quelque soit l’âge. Un
réchauffement inadéquat peut aboutir à une hyperthermie per-opératoire, rendant
indispensable le monitorage de la température. En cas de mise en place de
garrots le risque de survenue d’une hyperthermie est augmenté chez l’enfant, en
raison de la diminution de la perte de chaleur en périphérie (4). Les problèmes
liés à l’hyperthermie maligne ne seront pas abordés.
IV. Le monitorage de la température
Chez l’enfant une surveillance per-opératoire est
indispensable pour détecter l’hypothermie mais aussi l’hyperthermie. Les
thermomètres les plus utilisés sont des thermocouples reliés à un moniteur de
surveillance ; ils existent sous forme de dispositifs à usage unique, et
ont un coût modéré. La température peut être mesurée au niveau central ou
périphérique.
La température axillaire est fiable si le thermomètre est
placé au niveau de l’artère axillaire et le bras en adduction et peut suffire
pour des interventions de courte durée. La température naso-pharyngée peut être
influencée par des fuites autour de la sonde d’intubation. La température
oesophagienne est fiable lorsque la sonde est placée au niveau de la partie
distale de l’œsophage, cependant une influence de la température des gaz
trachéaux est possible, en raison de la faible épaisseur séparant l’oesophage
de la trachée ; c’est à ce niveau que le monitorage est le plus
fréquemment réalisé. La température rectale est particulièrement fiable mais
peut être perturbée par la présence de matières ou l’ouverture de la cavité
péritonéale. La température intravésicale est très fiable si le débit urinaire
est suffisant. La température tympanique donne une bonne approximation de la
température de l’hypothalamus. La température cutanée n’est pas bien corrélée à
la température centrale chez l’enfant anesthésié et ne peut lui être substituée,
alors que c’est une des méthodes de régulation des tables radiantes chez le
nouveau-né éveillé.
V. Prévention et correction de l’hypothermie
Une hypothermie légère (34 à 36°C) est fréquente et
tolérable, bien que des effets sur la coagulation et la réponse immune aient
été décrits chez l’enfant comme chez l’adulte.
L’hypothermie initiale liée à la redistribution
peranesthésique est constante et ne peut être réduite que si les dispositifs de
réchauffement cutanés sont mis en place avant l’induction afin de réduire le
gradient entre le compartiment central et la peau. Les recommandations pour
l’équipement des blocs opératoires prenant en charge des enfants listent ainsi
de manière détaillée les matériels nécessaires pour lutter contre les
hypothermies péri-opératoires, en salle d’intervention ou en salle de
surveillance post-interventionnelle (5). La température de la salle
d’intervention pédiatrique doit être supérieure à 24°C et même portée à 26°C
pour limiter les hypothermies chez les nouveau-nés. Le confort de l’équipe
chirurgicale est l’une des principales limites de ces températures
élevées ; les chirurgiens pédiatres sont cependant habitués à des températures
ambiantes élevées et la plupart des gestes sont de courte durée chez le jeune
enfant.
Le recouvrement de l’enfant est une mesure simple de
prévention passive de l’hypothermie. Il faut éviter de déshabiller les
enfants lorsque c’est inutile. Il faut recouvrir immédiatement les territoires
désinfectés avec des champs stériles. La couverture de la tête par un bonnet
est indispensable chez le nouveau-né car sa surface représente près de 20% de
la surface corporelle. L’emballage des membres permet également de réduire la
surface exposée au froid. La réduction de la perte de chaleur dépend de la
surface cutanée couverte, quelque soit la zone couverte ou le matériau utilisé.
L’utilisation de champs chirurgicaux en matériau non tissé et imperméable
empêche toute application de liquide sur la peau, source d’une perte importante
de chaleur par évaporation.
Les dispositifs actifs réalisent un réchauffement cutané qui
permet de prévenir ou limiter la redistribution initiale, par radiation au
moyen de tables chauffantes infrarouges, par conduction au moyen de matelas
chauffants à eau ou électriques et par convection au moyen de couvertures
soufflantes. La température des matelas chauffant doit être contrôlée régulièrement,
les modèles les plus utilisés sont les matelas électriques ; on doit
interposer un matelas de gel entre le matériel chauffant et l’enfant. Un
système d’enveloppement chauffant actif des membres et du tronc a été
développé, délivrant la chaleur au moyen d’une circulation d’eau chaude (6).
Les couvertures électriques ne doivent pas être utilisées dans le bloc opératoire
car les infiltrations d’humidité peuvent être à l’origine de brûlures graves. La
table radiante n’est utile qu’à la phase d’induction si l’enfant est dévêtu
pour permettre des réaliser les gestes techniques nécessaires mais elle devient
peu efficace après la mise en place des champs chirurgicaux. Le système actif
le plus efficace et le plus utilisé est la couverture soufflante, appliquée sur
une zone libre ou en positionnant l’enfant directement au dessus de la
couverture. Le système ne doit jamais être utilisé directement, dirigeant le
flux d’air chaud vers une surface limitée et induisant un risque de brûlures,
mais toujours par l’intermédiaire d’une couverture de taille adaptée.
L’humidification des gaz inspirés prévient les lésions
trachéales, et réduit la perte de chaleur respiratoire. Elle peut être active
eu moyen de systèmes humidificateurs et réchauffeurs, ou passive au moyen de
filtres (nez artificiels). Une humidification d’environ 50% peut être obtenue
au moyen de ces filtres. Un réchauffement actif n’est nécessaire qu’en cas de
ventilation en circuit ouvert. En effet le réchauffement passif est efficace
chez l’enfant en raison du niveau élevé de la ventilation alvéolaire. Les
risques d’un réchauffement actif (brûlures des voies aériennes,
hyperhydratation) ne sont pas négligeables et les contraintes d’utilisation de
ces dispositifs sont importantes (manipulations, renouvellement de l’eau,
condensation dans les circuits).
Le réchauffement des solutés de perfusion est nécessaire si
les volumes perfusés sont importants ou si la température du liquide est basse
(sang, albumine concentrée, plasma). Pour être efficace à des débits de
perfusion faibles, le système doit être adapté, notamment avec des systèmes de
réchauffement coaxiaux afin que le réchauffement du liquide soit effectif
jusqu’à l’entrée de la veine (7).
Conclusion
L’hypothermie est un problème habituellement rencontré chez
l’enfant en phase péri-opératoire et a des causes multiples. La prévention est
possible quelque soit l’âge avec des équipements adaptés. Il est conseillé
d’utiliser un dispositif actif de réchauffement systématiquement chez l’enfant
de moins de 1 an, lorsque l’intervention dure plus de 30 minutes de l’âge de 1
an à la période scolaire, et pour les interventions longues chez l’enfant de
plus de 8 ans. Le réchauffement péri-opératoire doit être ainsi une des
préoccupations principales de l’anesthésiste-réanimateur, sous contrôle du
monitorage de la température.
1. Kurz A, Sessler D, Narzt E et al. Morphometric influences
on intraoperative core temperature changes. Anesth Analg 1995; 80: 562-567.
2. Szmuk P, Rabb M, Baumgartner J et al. Body
morphology and the speed of cutaneous rewarming. Anesthesiology 2001; 95: 18-21.
3. Bissonnette B. Physiologie du système nerveux central et
régulation de la température, in Anesthésiologie Pédiatrique, Claude Ecoffey,
Ed Flammarion, 1997.
4. Bloch E, Ginsberg B, Binner R et al. Limb tourniquets and
central temperature in anesthetized children. Anesth Analg 1992 ; 74 : 486-489.
5. Recommandations pour les structures et le matériel en
anesthésie pédiatrique. SFAR et ADARPEF, septembre 2000.
6. Nesher N, Wolf T, Urtzky G et al. A
novel thermoregulatory system maintains peroperative normothermia in children
undergoing elective surgery. Paed Anaesth 2001; 11 :
555-560.
7. JA Schultz, C Sims, B Bissonnette. Methods for warming
intravenous fluid in small volumes. Can J Anaesthesia 1998; 45 : 1110-1115.